En route vers le futur!



Nous sommes au début de février et nous avons notre prise de ruban le 20 courant et j’aimerais y être accompagné et la seule personne que je désire à cette activité c’est Blanche. Mais, je ne l’ai pas revue depuis la seule et unique rencontre que j’ai eue avec elle avant qu’elle ne s'évapore après notre rapide tête à tête et quelques pas de danse. J’ai quelques renseignements et en peu de temps je les assemble. L’annuaire téléphonique répond à mes questions, en fait à ma seule et unique question : le numéro de téléphone. J’ai le nom : Houle. J’ai la rue : Cuddihy. Au pire il y a quatre ou cinq maisons sur la rue que je vois très bien de ma tour d’observation : le poulailler du Collège qui est encore debout pour certaines activités

Ça doit être à cette époque que j’ai commencé à faire de la haute pression, à avoir les mains moites, à avoir des troubles d’élocution. D’ailleurs malgré toutes les apparences, je suis très timide et cela depuis mon enfance, et je me surprends. J’ai rencontré cette fille une fois l’espace de quelques minutes et cela fait au moins deux semaines. Du temps à hésiter, à aller de l’avant, à branler. J’aurais dû tenter de la rejoindre plus tôt. J’ose. Je n’ose pas. Quand je vais dire mon nom, est-ce que cela lui dira quelque chose ou bien est-ce que je ferai déjà parti de ses souvenirs oubliés, donc même pas un évocation. Pire est-ce que je suis même entré dans sa mémoire et je ne sais pas aussi si elle est disponible? Est-ce que j’ai fait assez bonne impression et laisser des empreintes indélébiles dans son cerveau comme elle en a laissé dans mon cœur?

Ça sonne.

« Oui, allo! »

Trop tard pour reculer. J’ai demandé si je pouvais parler à Blanche.

" C’est moi! »

J’ai cessé de respirer. Elle a répondu trop vite. Je n’avais pas le temps de changer ma présentation. D’ailleurs il n’y en avait pas de préparer. Toutes les introductions que j’avais envisagées se sont évaporées  au même moment où elle a dit : « C’est moi! ». C'était elle!

« Bonjour, je m’appelle Gilles, je ne sais pas si tu t'en souviens, mais nous nous sommes rencontrés il y a quelque temps au Moulin Rouge et j’ai grandement apprécié ta présence et je me demandais… » J’ai respiré. Il était temps. Il me semblait que je parlais dans le vide. Elle m’a glissé un oui mais j’ai senti que c’était un oui avec un point d’interrogation. Il m’a fallu préciser davantage. J’ai donc ajouté : « Nous avons dansé ensemble au Moulin Rouge il y a quelques semaines et si tu te souviens bien j’avais le bras en écharpe suite à une blessure au hockey. » Et, là, à cet instant précis, le point d’exclamation a remplacé le signe d'interrogation. La conversation s’est engagée. Même son rire au téléphone témoignait de sa jovialité et de son entrain. Si elle n’était pas libre, j’allais combattre. J’apprendrai éventuellement que le soir de notre première rencontre, elle accompagnait une amie, Denise Gélinas,  qui commençait son quart de travail à minuit et elle avait dû quitter tout simplement ne présageant rien de notre futur.


Elle acceptait de m’accompagner à la prise des rubans le 20 février. Durant cette soirée nous annoncions notre orientation professionnelle à tous les finissants. Dans mon cas, il s’agissait du travail social et j’allais étudier à Ottawa mais faute de finances et d’intérêt, la suite en témoigne, j’ai envisagé d’autres options qui devaient être temporaires.

Après cette soirée à la salle de bal de l’Hôtel Windsor, le salon Elisabeth, nous avons poursuivi nos fréquentations. Elle travaillait depuis un an au Centre Hospitalier de Rouyn-Noranda à la salle d’opération et moi je terminais mes études. Normalement sur semaine, je téléphonais et après quelques minutes, souvent plusieurs, nous décidions de nous retrouver et d’aller faire un tour. Et quand je me présentais chez elle c’est tout juste si elle et ses sœurs avaient eu le temps de replacer les coussins du salon qu'elle ne sortait que pour la visite. C’est tout juste, lorsque son père était là, si elle avait le temps de lui demander de s’habiller et de ne pas rester en combinaison. Quant à moi, c’est tout juste si j’avais le temps entre deux visites de reprendre mes couleurs normales car faire face à cinq filles qui te dévisagent, ça te fait sortir le sang des veines et comme j’étais un sujet propice à prendre des couleurs, cela n’arrangeait rien. Mais le contact avec mes beaux-parents et ses frères et sœurs était à mon avis excellent.

Durant ces quelques mois, les restaurants Paris Café et Nankin ont reçu nos visites tout comme la Pagode. Les cinémas Montcalm, Rouyn et Paramount ont aussi été témoins de nos secrets. Le Moulin Rouge, l’Hôtel Radio, l’Hôtel Savoy ont enduré nos pas de danse et nos chuchotements mais pas autant que le Maroon Lodge et surtout le Donjon où s’est écrit une grande partie du scénario de notre cheminement futur sur des serviettes de table communément appelées "napkings". En France, j'aurais pu sauver les guillemets mais nous sommes au Québec.

À Pâques je suis descendu chez mes parents et de son côté elle a hébergé chez ses tantes à Ville-Marie. Je suis allé la chercher et l’ai présentée à mes parents. Ma mère fut aussi ensorcelée que moi de faire sa connaissance. A cet instant, Blanche a trouvé une deuxième mère et moi, j’avais, façon de parler, perdu la mienne. Et le clergé allait perdre un membre.

Avant la fin de mon année scolaire, mes parents l’avaient revue à au moins deux reprises. A mon bal de graduation, en mai, ma mère était présente en compagnie de mon frère Ghislain. Les fêtes de la Saint-Jean-Baptiste et la parade des chars allégoriques avait lieu à Lorrainville en 1965. Blanche était descendue en compagnie de Vic et d’Éliane. Nous en avions profité pour nous rendre à la forêt enchantée au Vieux fort de Ville-Marie.

Je n’avais pas encore d’auto à cette époque utilisant le camion de mon père pour mes besoins personnels et très occasionnels. Ce n’est qu’à mon retour de Moosonee que, mon père et moi, nous nous sommes rendus à New-Liskeard afin de procéder à l’achat de ma première auto, une Rambler 1960 de couleur rouge payée six-cents dollars. Cet achat me permettra de continuer à avoir certains paiements avec la caisse et surtout facilitera mes transports entre Val-d’Or et Rouyn et occasionnellement dans mon pays natal.

C’est à peu près à la même période que mes beaux-parents ont délaissé la rue Cuddihy pour se relocaliser au 460 de la rue Taschereau est. J’allais avoir un endroit où dormir car ils passaient à un loyer passablement plus grand toujours avec 8 enfants et avec un sous-sol. Je partagerais lors de mes séjours à Rouyn une chambre avec Raymond, qui travaillait dans le domaine de la finance. Auparavant, lors de mes visites à ma belle, je logeais à l’Hôtel Union au coin de la rue Gamble et principale.

Lorsque Blanche est venue à quelques reprises passée du temps à Lorrainville, elle occupait la chambre de Ghislaine et moi celle de gauche que je partageais avec Ghislain. À l’été 1965, le 14 août, le mariage de Monique, ma cousine, et Richard sonnait presque le prélude au nôtre et nous permettait de rêver un peu. Ce n’est qu’au début de l’année scolaire et après quelques voyages entre nos deux lieux de résidence que nos intentions réciproques ont pris forme et que des orientations ont été données à nos vies sans que nous y prenions garde.

D’ailleurs, si nous pouvions retrouver les serviettes de table du Donjon, nous pourrions retracer notre histoire des quelques mois qui ont précédé notre mariage. C’est endroit a été notre premier chez-nous. Un tout petit bar, intime, lumière tamisée, musique d’ambiance en sourdine, devant une bière et un pink lady, notre bonheur y avait été coloré, notre futur y a été chiffré, nos maisons édifiées, nos enfants élevés et sanctifiés. Notre histoire avait été écrite, il ne nous restait qu’à la vivre. Sur les serviettes, il y avait bien sûr des ratures, des espaces vides. Notre vécu a redressé les mots, réécrit les chiffres et rempli les blancs et les silences.

C’est ainsi qu’aussitôt arrivé à Rouyn-Noranda tout les vendredis soirs à compter de septembre 1965, après avoir mené à destination mes passagers, nous prenions la direction du Donjon, et nous terminions la soirée au Maroon Lodge suivi de notre passage obligé au Paris café et puisque je travaillais, je pouvais désormais payer. Ça n’avait pas toujours été le cas.

Effectivement, tous les vendredis après l'école, nous quittions Val-d’Or vers les 17 heures et nous nous arrêtions soit à Malartic, soit à Rivière-Héva, soit à Cadillac pour prendre une bouchée dans une cantine à restauration rapide. J’avais prévenu mes deux confrères qu’un souper m’attendait tous les vendredis mais tel n’était pas leur situation. Aussi je les accompagnais. Arrivé au 45 de la rue Taschereau, une assiette de macaroni au fromage m’attendait souvent. Et l’assiette, bien remplie par ma future, ne souffrait d’aucun défaut sauf du débordement. Le jeûne du vendredi obligeait à un repas sans viande. bien que le poisson était permis. Donc l’assiette de macaroni au fromage était à sa place et respectait les consignes religieuses. Même si j’avais mangé en chemin, nul moyen de refuser d’autant plus que ma promise l’avait sûrement fait pour me faire plaisir et qu’elle ajoutait à son bonheur en me regardant me rassasier. Il faut dire aussi que je n’étais pas tellement entiché du fromage sous toutes ses formes mais un plaisir en attirant un autre, je déglutinais.

Quelques temps après le mariage, dans un élan de bonté suprême et de candeur angélique, elle me parle de faire pour le souper un bon macaroni au fromage. Je ne doutais pas du qualificatif utilisé sauf que je lui ai dit que ce n’était mon fort le macaroni au fromage. J’en ai toutefois mangé sans trop de problème, cela faisait tout de même un an que je pratiquais. Mes espions m’ont toutefois raconté que certaines fins de semaine où je me trouvais à l’extérieur pour des activités professionnelles, elle se faisait une quantité de macaroni équivalente aux nombres de jours où je m’absentais

Le vendredi 3 décembre, toujours en 1965, je suis à descendu à Rouyn comme d’habitude et nous sommes retournés à Val-d’Or dans la journée du samedi car je jouais au hockey ce soir-là pour une raison que j’ignore. J’y ai bien sûr excellé pour des raisons évidentes à vos yeux. Après la joute, nous sommes allés chez des amis, en l’occurrence François Poirier et vers une heure du matin, nous avons pris le chemin du retour. Mais en route, à la rivière Bousquet, Nelly, c’est le nom que nous avions donné à la Rambler, décide de nous lâcher. Rien à faire. Nous sommes sur le bord du chemin, la batterie est bien vivante, le réservoir à ce qu’il faut et nous, nous gelons. J’ai beau tenté de faire du pouce. Rien. J’aurais dû demander à Blanche, elle aurait peut-être été plus efficace. Pas de téléphone cellulaire. Pas de circulation.

De temps à autres, nous écoutions la radio mais très peu pour ne pas mettre la batterie hors d’état de servir. Tranquillement nous avons vu le soleil se lever derrière nous. Quelqu’un arrête mais l’auto est pleine et il va nous envoyer une remorque. Vers sept heures, le cardinal Léger nous conviait à la prière. Une autre auto s’arrête. Il a de la place. Nous sommes sauvés. Le type qui arrive de Montréal avec son épouse me dit que cela lui fait vraiment plaisir de nous voir. Et nous lui avons sensiblement dit les mêmes mots mais en grelotant. Son plaisir venait du fait qu’il voulait que je conduise jusqu’à Rouyn car il n'en pouvait plus et sa femme ne conduisait pas. Aussitôt dit, aussitôt fait, chauffage au bout, nous repartons.

Arrivés vers huit heures sur la rue Taschereau, on pouvait facilement deviner ce qui se passait dans la tête de mes hôtes et de sa famille. Mais il en était rien. Ils en sont restés avec leurs soupçons fruit de leur imagination fertile et frivole. Nous étions tout simplement gelés, rien de plus. Je repars avec Raymond pour aller chercher l’auto et voir ce qu’elle a. Un stop à une station service et un peu de liquide dans les conduits de gazoline et le tour est joué. Quelques dix minutes plus tard, Nelly reprend ses fonctions. J'ai conservé pendant longtemps une bouteille antigel de carburant "Kleen flo" dans le coffre à gant, même l'été.  Quant à ceux qui ont pensé toutes sortes de choses inappropriées, mots à la mode aujourd'hui, détrompez-vous et sermonnez votre pensée. Quand le chapitre des autos arrivera, je ne répéterai l'incident du «Kleen Flo», je marquerai seulement, rappelez-vous  de la Rivière Bousquet.

Toujours est-il que de fils en aiguilles, nous atteignons Noël et nous nous fiançons pendant la messe de minuit à la chapelle de l’Hôpital de Rouyn-Noranda. Blanche avait d’ailleurs vérifié l’heure de la messe afin que nous n’arrivions pas en retard avec nos parents respectifs,  Une perle achetée au magasin Opéra sur la rue Perreault témoignera de mon engagement. Quand nous revoyons le tout cette perle était « cheap ». Il me semble qu’elle valait bien plus cher que ça. C’est vrai qu’elle a toujours rêvé d’avoir un diamant de sorte que tout ce qui est en bas de ça, c’est de la peccadille, c’est du toc. Elle en a rêvé longtemps. En 2016, à la Saint-Valentin elle n'en rêve plus. Elle se pince. Cinquante ans d'attente, elle le méritait bien.

Après la messe, nous nous sommes retrouvés chez mes beaux-parents et la famille entière sur la rue Taschereau. Blanche a aussi pu accueillir par la même occasion, ses beaux-parents que j’avais ramené du Témiscamingue pour la messe. Après la remise des cadeaux de Noël et un réveillon plein de chaleur, nous sommes tous retournés à Lorrainville au milieu de nuit. Et le soir du 25 décembre et dans les jours suivants, mes oncles et mes tantes ont pu faire connaissance avec mon diamant à moi. 

Après un cours de préparation au mariage, supervisé par le curé de la paroisse Ste-Bernadette, obligatoire à l’époque et après avoir publié les bans, tout ce monde et la parenté de ma future ont été conviés à célébrer notre mariage le 9 juillet suivant.    

Entre temps, nous avons continué à correspondre à raison de deux ou trois lettres par semaine en plus de, souvent, mes deux voyages à Rouyn sur semaine et en fin de semaine, voyages qui cimentaient notre amour et nous permettaient d’élaborer des plans pour le futur qui se rapprochait de plus en plus. J'avais aussi mes passagers qui m'accompagnaient : Monique et Denis L'Heureux mariés à l'été 65 et Jean-Guy Beauchamp qui allait voir Marie-Hélène et dont le mariage sera célébré une semaine avant nous car Et Raymond et Ghislaine qui nous avaient laissé le champ libre en 1966, année où il devait se marier. Ils se sont repris les 3 juin 1967.

Vers la fin du mois d’avril, nous sommes à la recherche de notre premier nid. Un enseignant et un ami m’informe qu’il cherche un autre loyer plus grand car après un an de mariage, le couple Jean-Guy Blouin et Denise veut s'agrandir et le loyer ne convient pas, ne leur sied plus. Nous le visitons et nous en prenons possession je crois dès le mois de mai car, eux, ayant trouvé un appartement libre dans le secteur du Lac Lemoine, déménagent au début de ce mois. Je quitte donc la famille Jeanne Perrier chez qui j’ai pensionné pendant les sept ou huit derniers mois au 805 de la deuxième avenue. Nous rejoindrons les Blouin sur leur territoire, au Lac Lemoine, quelques années plus tard, en 1970 quand nous achetons la maison de M. Robitaille sur la rue Dorion. Et sur la rue des cyprès, les voisins de Denise et Jean-Guy sont Jean Guy Beauchamp et Marie-Hélène.

Aussi, nous meublons notre petit appartement d’un ensemble de lit et de bureaux et d’un set de salon. Un poêle et un frigidaire sont fournis et nous n’avons pas besoin de table  de cuisine car il y a un comptoir-lunch. Nous finirons par nous acheter une table à cartes car pour les soupers aux chandelles, c'est mieux, Une laveuse et une sécheuse sont disponibles dans le sous-sol. Ainsi le périple de nos vies prendra son envol le 10 juillet au-dessus du salon de barbier de Benoit Gravel, propriétaire aussi de 5 ou 6 loyers et voisin du salon funéraire Marcoux qui deviendra les Maisons funéraires Blais. Nous avons fait des voyages a notre appartement pendant les deux mois précédant le mariage et Francine, la sœur de Blanche, insiste: "Je vous ai servi de chaperon"

Je signe un nouveau contrat pour la prochaine année scolaire et je fournis encore une fois un certificat de moralité. On m’informe, puisque je me marie en juillet que j’aurai une augmentation de cinq cents dollars sur la présentation de mon contrat de mariage. Pendant ce temps, Blanche est requise pour travailler à la salle d'opération de l'Hôpital Saint-Sauveur, sur la recommandation de certains médecins de Rouyn-Noranda.

Aussi, si vous me le permettez, je vais me diriger à l’Hôtel Radio afin de me préparer pour ce grand jour qui officialisera comme on dit, devant Dieu et devant les hommes, le contrat que nous avons paraphé devant le notaire Gustave Taschereau à Rouyn, le 20 mai 1966. Nous sommes prêts. Direction Hôtel Radio où je passerai la soirée du 8 juillet seul sans voir ma future car pour un c’était le protocole et deux j’aurais attiré la malédiction de je ne sais pas quoi et je ne sais pas de qui. Si vous n'avez pas encore répondu au faire part, nous vous invitons èa vous joindre à nous dans les pages suivantes.



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