Mes parents: Laura et Dominique

 

« Le bonheur, c'est avoir une mère qui nous aime, un père pour nous conduire, avoir encore ses parents à l'âge d'homme pour les voir sourire à nos efforts, et voir nos parents applaudir à nos succès. »

Henri Frédéric Amiel; Journal intime, le 28 juin 1852




Le début du texte est tiré en grande partie des cérémonies du 40e anniversaire de Laura et Dominique en mai 1983. Le mérite revient à Ghislain et on ne peut le confronter tout comme Laura et Dominique. Il faut donc prendre pour acquis ce qui est écrit mais avec beaucoup de réserve du moins jusqu'en 1943 où je reprends entièrement les rênes.

1920-1940 : Les années de jeunesse.

Il était une fois, il y a très longtemps, un beau et petit garçon qui avait un rêve plus grand que lui. Il voulait devenir prêtre. Oui. Dominique voulait devenir prêtre. La paroisse lui importait peu mais il préférait Saint-Placide-de-Béarn. Deux problèmes se présentaient à lui. Premièrement, serait-il assez grand pour dépasser les enfants de chœur? Deuxièmement, trouverait-il une servante aussi douce, aussi gentille, aussi bonne cuisinière que sa mère. Deuxième de la famille, il est né à Laverlochère le 25 janvier 1920 et sera baptisé le lendemain par le curé Charles Boutin. Joseph Neveu et Georgina Gougeon répondront de sa foi lorsque le prêtre versera de l'eau sur son front.  De l'eau, « ouach », j'imagine qu'il a dû faire une grimace, une première.

Le temps passe et Dominique désire toujours embrasser la prêtrise. Le problème de la servante le préoccupe. C’est pourquoi, il courtise plusieurs jeunes filles : Cécile, Rita, Irène et d’autres. Elles semblent toutes très gentilles mais ne font pas l’affaire. Elles ne stimulent pas son intérêt.

Pendant ce temps, dans la plaine de Béarn, le plate en réalité, Laura rêvait au prince charmant : un grand colosse aux cheveux blonds et aux yeux bleus, une vraie étoile de la lutte, un véritable rêve du Québec. Tout en berçant sa poupée, Laura soupirait sous les regards sévères de ses parents et sous les rires de ses frères et sœurs.

Ma mère, née le 4 octobre 1924, sera baptisée  Laura, Germaine et Marie. Au lendemain de sa naissance. Henri Caya et Laura Gauthier seront  son parrain et sa marraine. Elle  complètera sa septième année et travaillera par la suite dans des maisons privées. Elle aura un premier cavalier à l’âge de treize ans. Ça n’a pas duré longtemps: le temps d’un aller-retour avec Clément et un autre couple, de Belleterre à Latulipe, en machine. Rose chez qui Laura devait être, avait laissé faire ça! Si le père Caya avait su ça! Cinq autres cavaliers plus tard, Laura cherchait encore son prince charmant.

1940 : Les premières tentatives.

Laura et Dominique se connaissait un peu puisque le futur curé allait aux rafles chez le père Caya. Ce n’est pas un gramophone qu’il voulait mais se trouver une bonne servante. Lors d’une de ces rafles, Léona avait trouvé dans la cour une belle baloune à gonfler. La mère Caya s’était occupée de ça : un condom, ce n’est pas pour les enfants. Mais à qui appartenait-il. Le choix était immense. Un secret éternel.

Au printemps 1940, lors d’une partie de balle à Saint-Placide-de-Béarn. J'utiliserai à l'avenir le nom de Béarn  même s'il ne devient effectif que le 15 octobre 1986. Dominique et son frère Maurice trôlent. Maurice reluque toujours les filles. Dominique se contente de faire de gros clins d’œil à une jeune fille qui n’ose pas répondre parce qu’elle ne sait pas en faire. Chaque fois que Laura change de place, Dominique se rapproche et continue son petit jeu. Mais cela ne donne rien.

L’été se passe sans histoire. À l’automne, Laura travaille chez M. Riopel à Lorrainville. Un jeune homme bien comme dirait Pétula Clark  vient cogner à la porte et lui demande poliment :«Votre veillée est-elle promise ce soir?» Laura le trouve à son goût mais elle ne peut accepter car elle a garde des enfants. Dominique retourne sur ses pas les mains vides pour une deuxième fois. Tout en marchant, il murmure : « La belle servante; travaillante, pis avec une belle façon! La belle servante!» Remarquez la politesse de mon père. Ce n'était pas un accident: « Votre veillée...» Et j'ai pu le constater par la suite dans mes nombreuses heures passées en sa compagnie.

1941-1943 : Les fréquentations.

Le long hiver 1941 se passe sans nouvelle tentative du soupirant. Mais la neige et le froidure avaient changé Dominique. La prêtrise l'attirait bien moins que le mariage. Dieu l'avait largué. En mars 1941, il écrit à Laura une première lettre qui va à peu près comme ça : « Depuis des mois,  je ne pense qu’à vous. Vous  ressemblez à un ange. Je vous trouve bien de mon goût et j’aimerais sortir avec vous, si vos parents vous en donnent la permission ». Les parents acceptent et Laura écrit à son prétendant. Mais le futur beau-père met ses directives sur la lettre : il peut venir veiller mais pas plus tard que dix heures et demie du soir.

Ainsi commencent des fréquentations qui vont durer deux ans. Dominique va veiller régulièrement. L’été ils se promènent en cariole. Lorsque la neige et le froid atteignent le Témiscamingue, il attèle sa picouille de jument grise à son « stage » d’hiver surnommé le corbillard à cause de sa forme et de sa couleur et allume son fanal, son phare.  Pour aller du rang six sud de Lorrainville au « plate » de Béarn, la route était pleine de croches avant le pont de la petite rivière. Après la veillée, à son retour, Dominique s’endormait souvent dans sa voiture et sa jument le ramenait à la maison sans se tromper. Une bonne picouille. Un soir d’hiver, le coteur à Lionel Audet est entré en collision avec le corbillard. Les deux « vielleux  » ont eu affaire à se réveiller. Les chevaux n'étaient pas programmés pour s'éviter.

D’ailleurs ces visites occasionnaient du temps supplémentaire au futur beau-père. Il devait frotter à la perfection le miroir qui lui permettait de bien chaperonner les amoureux qui se lançaient des « mon ange » et « mon chéri» à tour de bras. Georges ou Rosilda  se trouvait dans une pièce voisine et parfois les deux  mais avec le miroir, c'était comme avoir un périscope et une grande portée.  Des grands yeux grands ouverts! Les parents de ma mère avaient aussi bien d'autres filles à surveiller. Je suis présent sur la photo mais je ne le fus pas toujours mais les tantes oui, au nombre de six: Rose-Anna, et Éva sont absentes sur la photo. Les autres en avant de gauche à droite sont  Thérèse, Annette et Jeanne. En arrière: Réginald, Léona et Laura. Les trois autres sont mes grands-parents et moi.

Nous sommes alors en pleine guerre mondiale. Certains sont chanceux. D’autres moins. Ainsi Paul se cachera pendant deux ans et Napoléon passera trente jours à Val Cartier. Dominique sera classé C et sera libéré de l’armée à cause d'un problème à la colonne vertébrale. Il a d’ailleurs porté un corset pendant plusieurs années. Mais les comparses avaient  pris leurs précautions. Pas de chance à prendre. Joseph et lui se sont présentés au bureau de l’armée après avoir avalé plusieurs aspirines et plusieurs bouteilles de bière. Les tests ont pu paraître embrouillés. 

Je ne sais pas si c'est à cause du corset mais mensuellement ma mère faisait parvenir sa contribution à St-Jude, le patron des causes désespérés. Elle aurait eu beaucoup d'autres raisons d'invoquer St-Jude surtout pour éviter de l'attendre souvent le soir sur la galerie et d'espérer qu'il ne titube pas trop à cause de la boisson. Mais mon père a été chanceux, veinard même. Le seul accident que je lui connaisse est celui d'avoir frappé une vache en descendant la grande cote entre Guigues et Notre-Dame du Nord, Peu de dégât: Une vache en plein milieu du chemin. St-Jude avait rejoint  la médaille de St-Christophe attachée au parebrise du camion et les deux s'étaient organisé pour qu'il arrive à bon port, les deux avaient repris le volant et le camion s'est dirigé quelques jours plus tard chez Fidel Guimont dont l'enseigne indiquait débosselage et carrosserie.

Fermez la parenthèse.

Au printemps 1943, Dominique écrit à Laura et lui demande sa main. Elle accepte et il vient faire la grande demande à Georges qui lui répond : « Tu dois être capable de la faire vivre aussi bien que nous! » Cela voulait dire oui!

Le mariage est célébré le lundi matin 3 mai à huit heures. Pourquoi un lundi, cela va demeurer un mystère pour moi et à huit heures. Sans doute que les invités devaient vaquer à leurs travaux quotidiens. Le curé Lachapelle a fait ça vite et s'est assuré que les  voeux soient réciproques. Les invités prennent le dîner à Lorrainville chez le père du marié et le souper chez le père de la mariée. Le soir, 95 personnes font honneur au macaroni au poulet de Rosilda. Puis le party commence pour le vrai et se termine aux petites heures du matin.

Les nouveaux mariés couchent en haut chez les Caya. Rose avait prévenu sa sœur : « En voyant comment tu vas marcher demain matin, on va savoir si tu l’avais ou si tu ne l’avais pas ». La censure nous oblige à passer sous silence ce qui s’est effectivement passé.

1943-1983

Après deux jours à Béarn, les nouveaux mariés s’établissent à Lorrainville chez la grand-mère Rocheleau (Herménie Dénommé) qui est veuve. Ils ont à eux la cuisine d'été en arrière et une chambre en haut. Ce fut un bel été à manger des patates pilées et du baloné. Dominique ramenait à la maison du ciment plein ses poches. Laura frottait et nettoyait affectueusement son ange, son curé manqué.

Pendant plus de trente-cinq ans, Dominique passe ses étés dans les blocs, la brique et les trottoirs, la pierre taillée et la pierre des champs. Il est tantôt avec ses frères et son père, tantôt avec ses enfants et ses neveux et beaux-frères. Il parcourt le Témiscamingue et le nord de l’Ontario, tout en vendant des monuments. Pour ceux qui sont passés quelques fois à North-Bay, dans la partie sud, la Gateway of the North est son œuvre avec Maurice et Adrien en 1952 ou 53. Toutes les constructions mériteraient d'être signalées. Je pense principalement à l'église de Belle-Vallée en pierre des champs; à celle de Ville-Marie en pierre taillée; à presque toutes les écoles du Témiscamingue. À l'ancien restaurant Beaumont et la maison des Loiselle à Ville-Marie. 

Mais il ne s’éloigne jamais longtemps. Il dit qu’il s’ennuie trop de Laura. Et puis il y a un premier enfant, Gilles, né en février 1944. Quatre autres descendants et descendantes s’ajoutent en 1948, en 1951 en 1955 et en 1961. Ses poteaux de vieillesse!

Si la maçonnerie occupe les étés, il faut trouver du travail l’hiver. Ainsi il sera à tour de rôle bûcheron pour la municipalité de Lorrainville, marchand de viandes et de poissons pour sa « run » de  marché de Belleterre, waiter à l'Hotel moderne, gérant de salle de quilles de la paroisse et je pense même du bar au même endroit. La photo est de mars 1947. 

Durant les hivers c'est là que les grosses fêtes de famille avaient lieu. En autant que je me souvienne, nous recevions les deux familles à Noel. Sur la table il y a avait de quoi nourrir une armée et dans le cabanon, de quoi abreuver tout un régiment. La maison me parait bien petite aujourd'hui quand j'essaies d'imaginer les danseurs de sets carrés. Ça « swingnait » sur un mauvais temps avec les musiciens de la famille. Les souliers claquaient énormément avec les stepettes à Léo avec les autres qui suivaient et je faisais partie du groupe. Je me souviens aussi que moi, et Ghislain par la suite,  nous servions la boisson aux invités et aussitôt une tournée terminée nous avions le signal de recommencer. Nous avions tout juste le temps de prendre des gorgées ou de se saucer les lèvres dans des verres regorgeant encore d'élixirs. Ce qui conduira ma mère éventuellement à nous inscrire dans les Lacordaire ou chez les Jeanne-D'Arc selon notre sexe. Mouvement de tempérance extrême mais quand tu es jeune et tu es poigné là-dedans, comment tu fais pour t'en sortir sans déplaire à tes parents, au curé et ceux qui prêchent l'exemple. 

Et pire, beau nono, deux des filles que j'ai fréquentées avaient des parents dans le mouvement et un était même président. Mais j'avais déjà remis mon bouton, mon épinglette. Je l'ai remplacé éventuellement par une autre épingle 3 juillet 1986 et je l'ai toujours.  Ma mère se doutait bien de mon problème car un jour en sortant de la maison, elle m'avait glissé en simulant le geste: « Fais attention à cela!»  Elle avait vu juste. L'expérience avait parlé.

Si je reviens aux festivités de Noel et du Nouvel an, il n'est pas rare que des chanteurs s'improvisent et que des chansons à répondre envahissent tout l'espace disponible. C'est ainsi que mon père fut chanteur à ses heures avec des textes comme ceux qui suivent. Ajouter Chevaliers de la table ronde et beaucoup d'autres mais celles-là, c'étaient les siennes.

Passant par Paris


Passant par Paris
Vidant la bouteille
Passant par Paris
Vidant la bouteille

Un de mes amis

Me dit à l’oreille


{Refrain:}
À oui buvons
Le bon vin m’endort
L’amour me réveille
Le bon vin m’endort
L’amour me réveille encore

La destinée, la rose au bois

Mon père aussi ma mère
N'avaient que moi d'enfant
Mon père aussi ma mère
N'avaient que moi d'enfant
N'avaient que moi d'enfant
La destinée, la rose au bois
N'avaient que moi d'enfant,
N'avaient que moi d'enfant.


Ils m'envoient à l'école,
À l'école du rang
Ils m'envoient à l'école,
À l'école du rang
À l'école du rang,
La destinée, la rose au bois,
À l'école du rang,
À l'école du rang.

Si les hommes sont ivrognes


Le matin quand je m'y lève, je lui mets ma main sur le cou
Le matin quand je m'y lève, je lui mets ma main sur le cou
Oui sur le cou de ma bouteille et je lui fais  deux trois glouglous
Si les hommes sont ivrognes ça dépend des créatures
Si les femmes sont bavardes ça dépend de la nature

Sur le cou de ma bouteille et je lui fais deux trois glouglous
Sur le cou de ma bouteille et je lui fais faire deux trois glouglous
Ah ma femme gronde et elle tempête quand je veux la caresser
Si les hommes sont ivrognes ça dépend des créatures
Si les femmes sont bavardes ça dépend de la nature

Pour la dernière chanson sur  https://www.youtube.com/watch?v=j_9zc3oAGBM


L'été quand le temps le lui permettait, je me souviens que nous sommes allés au cirque à New Liskeard tout en profitant de ce passage dans la ville ontarienne pur aller au 5-10-15 grand magasin de spéciaux en plus de manger dans un restaurant chinois avec des grosses cuillères à soupe rondes, nouveau pour moi è l'époque.

Les soirées de lutte à Hayllebury et à Noranda ont aussi vu apparaitre le camion lettré au nom de mon père. Les Kowalski, Langevin, Carpentier, Curry, Abdullah the Bucher et combien d'autres nous ont éblouis par leurs prouesses. 

Grand amateur de baseball, il a participé à la mise sur pied du Stadium de Lorrainville et il ne manquait pas beaucoup de partie surtout quand je jouais pour le grand club et que j'affrontais les Chevaliers O'keefe, les Black Phantoms, ou une autre équipe de couleur dont le lanceur tirait ses balles du deuxième but mais les yeux bandés. Souvent les partys du club du balle se faisaient dans le garage derrière la maison et là il se jouait toute une partie de baseball. Les faits et gestes étaient scrutés à la loupe et l'ouvre-bouteille ne chômait pas. Ah oui, un ouvre-bouteille. Dans ce temps là, il fallait un appareil pour ouvrir les bouteilles à moins de prendre le manche d'un marteau ou le coin d'une truelle. Aujourd'hui c'est d'une facilité extrême.

Ce n'était pas grand amateur de chasse bien qu'il était équipé d'une 303 et d'une 22. J'ai fait quelques randonnées avec lui dans les bois mais si peu. La pèche aussi n'était pas son apanage. Même la plage n'a pas trop occupée nos loisirs. J'ai appris à ne pas nager à la plage Lemire à Ville-Marie là où je ne devais pas dépasser la hauteur des  genoux dans le lac Témiscamingue. Mes frères et sœurs m'ont déjà dit que mes parents avait loué un chalet au grand lac Témiscamingue mais je ne m'en souviens et je ne sais pas quand. Et c'était peut-être au petit lac Trépanier toujours dans le même bout.

Dans la municipalité, il exerce le métier de pompier volontaire un certain temps. Et tout comme son père, Wilfrid, il fut conseillé du village pendant quelques années, de 1953 à 1958. Mais voulant soumissionner sur un contrat pour la construction de trottoirs dans le village, il dut démissionner pour être en loi mais il a toujours suivi la politique municipale de près. Au niveau provincial, il n'a jamais voulu interférer avec la politique car le temps du patronage n'était pas révolu, il a toujours voulu se garder des portes ouvertes ou ne pas se fermer d'opportunités.  

Au niveau fédéral, il lui fut plus difficile de cacher son admiration pour Réal Caouette, chef du ralliement du crédit social et j'allais ajouter ami. Et que les campagnes électorales étaient plaisantes et pleines de surprises dans ce temps-là! De grands rassemblements à la salle paroissiale, des haut parleurs dont le son couvrait tout le village. Sur le perron de l'église, le dimanche matin les engueulades  allaient bon train. Le bleu et le rouge ne se mariaient pas. Deux couleurs bien ancrées dans les familles de génération en génération. Aujourd'hui il faut démêler les couleurs directement de l'arc-en-ciel et l'essence même des partis politiques n'est plus ce qu'elle était à quelques rares exceptions près.

Pendant que mon père travaille à l'extérieur ou installe des monuments un peu partout au Témiscamingue, je revois ma mère en train de faire des tapis ronds  avec des retailles de guenilles. Des tapis inusables. Cela ne fait pas longtemps que nous avons jeté un de ces chef d'œuvres. D'autres retailles de tissus ont servi à la fabrication de courte pointe et nous en possédons encore. Je passe sous silence les mitaines, les bas de laine et les tuques qui pullulaient autour du poêle lorsque l'hiver nous les faisions sécher après leur utilisation. Sans compter qu'avec plusieurs enfants, la machine à coudre était toujours sur le qui-vive et prête à tout tandis que le moulin à tordeur se tenait au garde à vous dans le même corridor.

Et sur le coin de la table ou sur le bureau, la plupart des journaux que j'aillais chercher au restaurant Paquin quand l'autobus en provenance de Montréal faisait escale avec ses passagers et ses colis: Le Petit-journal, le Photo-journal, la Patrie. Il ne faut pas oublier Allo-Police  dans lequel elle complétait les mots croisés et parfois elle recevait un montant d'argent car elle participait aux concours toutes les semaines. L'Almanach du peuple nous servait d'encyclopédie et le bulletin des agriculteurs était grandement feuilletés. De mon côté, je suivais Onésime et Séraphin dans la dernière revue. Dans les autres journaux les bandes dessinées et Blondinette ont marqué mon imagination tout comme les sections cinéma, musique et sport. Et dans la Patrie, nous collectionnons la page centrale. Ben oui, la page centrale: les joueurs du Canadiens.

Lorsque mon père engage des briqueteurs de l'extérieur, ma mère voit son travail augmenté avec au moins deux pensionnaires de plus et le lavage et les repas et les lunchs. Je me souviens de Ludger Murray et d'un Breton de son nom de famille.  Et peu importe l'heure, il y avait dans le réfrigérateur ou dans les armoires ou dans la dépense l'hiver de quoi à nourrir des invités surprises qui ont souvent surgi soit avec mon père ou à l'improviste. Dans le temps de le dire, la table était mise et les invités rassasiés.

Et quand c'était nous qui arrivions avec nos enfants, la table se recouvrait de chips, de chocolats, de rosebuds, de bonbons durs et mous, de peanuts écaillés ou pas et je laisse votre imagination y aller. Aussitôt qu'un plat semblait triste, elle le remplissait. Un rond point. 

Laura entretient la maison achetée en 1945. Elle s’occupe des enfants et du jardin. Elle envoie aussi de l’argent en cachette aux plus vieux qui sont aux études. Elle fait la comptabilité de l’entreprise familiale et commande les monuments des compagnies de Québec et de Montréal. Suite à la déclaration d’invalidité de Dominique déclarée le 18 mars1977, même s'il reçoit une indemnité  du Régime des rentes du Québec, il est encore loin de la pension de vieillesse, elle travaille à la coopérative alimentaire d'abord comme employée et par la suite comme gérante.

Un détail qui fait sûrement partie des souvenirs de Chantale. Elle aimait se faire arracher les cheveux gris en se les faisant brosser. Une vraie période de relaxation.

A la fin des années 70 mon père atteint d'un cancer de l'œsophage doit subir des traitements à Montréal et passe quelques temps en convalescence à Villa-Maria, Il se remet tant bien que mal de ce cancer qui finira par l'emporter tout comme le cœur. C'est pour cela que nous cru notre mère au début des années 80 quand elle nous disait qu'il faudrait bien fêter leur quarante ans de mariage car le père selon elle n'en avait plus pour longtemps. On l'a crue.

Aussi à la fin de mai 1983, nous avons organisé ce quarantième avec des invités des deux familles, une célébration où chacun des enfants a joué un rôle. Un souper et une danse ont clôturé le tout au sous-sol de l'église.

Neuf mois plus tard ma mère décédait à cause des problèmes de cœur. A la suite de son décès nous avons trouvé un billet médical qui l'autorisait à s'absenter de son travail pour des problèmes cardiaques. Nous avons aussi trouvé des médicaments pour le cœur. Personne ne le savait. Elle avait continuer à travailler et même mon père ignorait tout, incluant la prise de médicaments. Elle nous avait bien eus lorsqu'elle voulait qu'on célèbre le quarantième anniversaire de mariage. Oh que oui! Notre père en avait pas pour longtemps! Chipie!

Lors de la fête, Ghislain avait terminé son texte par : « Quarante ans, c’est vite passé Nous leur souhaitons d’autres années de bonheur et c’est pour ça que nous sommes ici. Merci d’être venus et bonne soirée. » Personne ne se doutait que le dimanche 19 février, Laura aurait rendu l'âme. Personne ne se doutait que nous nous retrouverions dans la même salle au sous-sol de l'église. Mais elle savait non pas qu'elle traverserait la rivière avant mon père, mais elle savait qu'elle était gravement malade.

En février 1984, elle était à l'hôpital depuis au moins une semaine quand je suis descendu la voir à  Ville-Marie. Nous avons le temps de jaser un peu et elle semblait aller bien. Le samedi suivant mon père m'appelle comme convenu car je serais descendu le dimanche si elle devait rester à l'hôpital plus longtemps. Il m'informe qu'elle va bien et qu'elle devrait sortir le lendemain ou le surlendemain. Il devait être un peu passé neuf heures quand le téléphone a sonné, dès son retour de Ville-Marie. Donc je ne descendrai pas et la fin de semaine suivante, nous irions toute la famille. Mais le destin en a décidé autrement.

Peu de temps après minuit, le téléphone s'agite encore et  mon père me demande de descendre car cela ne va pas bien, mais pas du tout. Je lui dis que je descends dans les prochaines minutes. François m'accompagne pour ce périple de trois heures. minimum et la température est de notre côté.  Plutôt que de nous rendre directement à Lorrainville, nous arrêtons l'hôpital de Ville-Marie et je me présente. L'infirmière ayant bien saisi mon nom me demande: « Vous venez chercher les vêtements de Madame Dénommée » Oupelaye!

Je me rends à Lorrainville. Mon père n'a pas voulu me débosselé car il savait qu'elle était décédée avant minuit ce 19 février, un samedi. Après quelques bières, nous nous sommes rendus  au local de Perron et Fils non loin de l'église afin de procéder aux arrangements funéraires, choisir le cercueil et tout. Je suis remonté à Val Senneville et Guy, un amossois, est venu nous rejoindre en autobus et dans la même journée nous sommes revenus au village natal. Blanche quant à elle a attendu l'arrivée de Ghislaine en provenance de Sherbrooke et nous a rejoint plus tard. La famille qui comptait maintenant plus d'une quinzaine de personnes, a dû s'éparpiller chez les oncles et les tantes. L'exposition du corps s'est fait au sous-sol de l'église et service a eu lieu le mardi 21 février à onze heures. Je crois que le charnier avait été utilisé en attenant le dégel pour l'ensevelissement. Ouais, tu nous avais bien eu avec ton quarantième qui urgeait.
XX
Je revois encore un de ces regards que mon père  me fit lors du service. Je le sentais désemparé. Suite au décès de sa douce, les options de Dominique n'étaient pas tellement nombreuses car il voulait demeurer à Lorrainville, dans son milieu, dans sa maison. Linda demeurait pas loin avec Jean et pouvait jeter un œil occasionnel sur ses besoins. Blanche et moi avons ouvert nos portes mais cela n'était pas dans ses visées. Même chose ailleurs. Ses racines étaient bien ancrées dans sa maison, dans sa rue, dans son village, dans son pays.

Lors de l'une de nos visites à Pâques, disons en 1987, Dominique a survécu grâce à l'intervention de Blanche. En effet, un peu chaudasse pour ne pas dire plus, il a oublié de couper son morceau de viande, un steak de bœuf et il s'est étouffé, étouffé royalement. Étendu sur le plancher de la cuisine pendant que Ghislain je pense téléphonait aux ambulanciers, Blanche a réussi à retirer le steak de bœuf pris dans sa gorge. Son expérience et son sang froid étaient venus à bout du morceau de bœuf. De bleu qu'il était, Dominique a mis du temps à retrouver ses couleurs et les ambulanciers ont complété  le travail de Blanche. Un petit séjour à l'Hôpital Ste-Famille. Revenu partiellement a lui, il ne se souvenait de ce qui s'était passé. Le lendemain malgré son blanc de mémoire, son retour à la maison s'est effectué sans problème et la vie a continué. Mais en réalité, il avait réellement jeter un œil de l'autre coté de la rivière. Dieu avait changé d'idée, il ne l'avait pas rappelé. 
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Au décès d'Isabelle le 11 juin 1989, mon père n'arrêtait pas de dire que cela aurait dû être à lui de partir, pas un enfant de 18 ans. Un de mes derniers voyages au Témiscamingue fut fait au début de mois d'août 1989. Il m'en  avait encore  parlé: c'était à lui  de partir pas à Isabelle.  Mon père était venu  nous voir  en
autobus. Nous en avions profité pour jouer au billard au Motel 111, le seul que je connaissais avec des tables et lui avec sa bière et sa baguette personnelle et moi avec mon pepsi avons joué quelques parties. Sans doute qu'à la maison, j'avais loué des cassettes de lutte que nous avions regardées avec beaucoup d'entrain surtout de son côté. Pour au retour à la maison paternelle j'avais amené Stéphanie avec moi et la photo ci-contre est l'une des dernières que j'ai de lui.

Dans les semaines suivantes, le 14 en réalité, Linda a accouché d'Alexis qui a dû  demeurer aux soins intensifs jusqu'au 27 où il fait son apparition chez son grand-père heureux de le voir car l'attente a été longue. Et le lendemain matin, on connait l'histoire. Laurette regarde par la fenêtre de sa maison et ne voit pas Dominique installé à sa chaise comme depuis 1945, comme à tous les matins ou presque. Elle demande à Maurice d'aller voir et il fait la macabre découverte. Dominique git au pied de l'escalier.

Nous somme 28 août, je suis à l'école en train d'organiser les journées pédagogiques qui prépareront l'entrée scolaire. Je crois que c'est Linda, ma secrétaire, qui vient me dire: « Votre épouse est au téléphone et elle veut vous parler. » Et j'apprends la nouvelle.

Nous descendons au Témiscamingue et voyons aux activités funéraires à venir. L'avis de décès stipule que la cause première est un arrêt cardiaque et la seconde, le cancer du larynx même si à la fin il avait changé les cigarettes Player's plain par des Vintage, pas fumable. Pas facile d'arrêter quand tu as fumé toute ta vie. De temps à autre ma mère en grillait une. Précisons, puisque nous parlons d'elle, qu'elle ne détestait pas à l'occasion prendre une « Porter », une sorte de bière noire. Ma père après la disparition de la bière Dow dans les années soixante s'est concentré sur la Labatt 50. Pas étonnant que nous nous souvenons des annonces de Olivier Guimont: « Lui , y connait ça ». Mon goût de la cinquante vient sûrement de là. Une bonne cinquante tout en jouant aux cartes sur la table de la cuisine. Mon père jouait souvent au restaurant Paquin après la messe et à l'hôtel Guimont, waiter ou pas. Il a dû retrouver ses joueurs mais je ne sais pas s'ils peuvent jouer à l'argent: au 500, au 2 white, à la pisseuse.

Quand j'arrivais à la maison, j'avais l'habituelle question: « As-tu soif? » et cela peu importe l'heure sauf après 1986. La deuxième interrogation selon les saisons: « As-tu branché ton auto? »  Faut dire que mon père prenait un soin particulier de son camion et de tous ses outils et de tout son matériel de maçonnerie. L'hiver quand il faisait soleil, il ouvrait la porte de son garage pour que son camion respire le bon air.  Son hangar à outils et sa forge étaient toujours bien rangées. Et la maison aussi quand il est devenu veuf.
 
Si je reviens au décès, le corps a été exposé au sous-sol de l'église et après le service et l'ensevelissement au cimetière, les membres de la coopérative nous ont organisé un bon repas tout comme ce fut le cas pour ma mère qui était aussi membre de la coopérative. Le monument fut gravé quelques semaines plus tard. Puisque c'est un lot familial, nos parents auraient bien voulu que nous nous installions au cimetière à notre mort. Actuellement seul Ghislain y a trouvé sa niche en novembre 2016. Quand à Blanche et moi nous rejoindrons Isabelle au cimetière de Val d'Or éventuellement.

Les cérémonies funéraires terminées, nous nous sommes attablés pour régler la succession. Ghislain et moi avions été nommés exécuteurs testamentaires et nous avons procédé.  Faut que je le signale car j'ai trouvé l'idée bonne. Mes parents avaient opté pour que les deux filles héritent de 50% tout comme les trois garçons.  Le tout s'est bien  déroulé.  La maison  a été cédée à Linda au quatre cinquième du prix de
l'évaluation municipale. De souvenance, Guy était reparti avec le camion jaune 1969, un Dodge. Et ce camion à servi pour le tournage d''un film de Bernard Clavel (le tout me reviendra). Entre autres objets nous avions opté pour le bureau de travail qui est toujours en opération et sur lequel mon ordinateur valse présentement et aussi un petit coffre fort. Après une quinzaine d'années, j'ai donné des coups de masse au coffre-fort ne me souvenant plus de la combinaison et ne l'ayant jamais su. Quand au bureau je suis fier de vous le présenter. Le dessus brun pâle protège l'original.

Mon village n'est plus le même. La maison familiale n'est plus la même. Tout avait beaucoup changé  le 19 février 1983 et le 28 août 1989 un cycle de vie est disparu laissant des souvenirs impérissables. Et leur progéniture est là pour perpétuer leur vie et leur valeur. Et la roue tourne. Tournera.



Gilles (15 février 1944). 
Ceux que j'allais choisir comme parents quelques mois plus tard, s'installent dans la pièce en arrière de la maison qui deviendra celle de Wilfrid au 19 de la rue Geoffroy, juste voisin de la beurrerie que je connaîtrai sous le nom de Lafrenière. C'est là que sous les mains habiles du docteur Philippe Chabot je verrai le jour le 15 février suivant à 6h30 du matin avec mes 9 livres et demie. J'imagine que je passe ce premier hiver dans ces lieux sacrés car  12 mois plus tard je me retrouve dans les chantiers forestiers. Ainsi Belleterre me reçoit en 1945 et  Tabaret en 1946. (Chantiers forestiers entre Laniel et Témiscamingue sud)

Thème mes frères et mes sœurs dans les prochaines pages. Ghislain (8 octobre 1948- 23 novembre 2016),Ghislaine (23 décembre 1951), Guy (4 juin 1955). Linda (8 octobre 1961)

Si George Hamel avait composé cette chanson de son vivant, sans doute que mon père l'aurait entonnée:


Merci mon Dieu


Merci mon Dieu de tout mon cœur
Sous ton ciel bleu je chante l'amour
Pour mes parents de leur douceur
Tant de bonheur embellit mes jours

Tu m'as donné de beaux enfants
Et une femme que j'aime tant
Tu m'as donné le goût de chanter
La joie d'aimer, tu m'as comblé

Merci mon Dieu de tout mon cœur
Sous ton ciel bleu je chante l'amour
Pour mes parents de leur douceur
Tant de bonheur embellit mes jours

Pour les matins ensoleillés
Pour toutes les fleurs et les champs de blé
Pour mes amis toujours présents
Merci mon Dieu pour ces instants

Merci mon Dieu de tout mon cœur
Sous ton ciel bleu je chante l'amour
Pour mes parents de leur douceur
Tant de bonheur embellit mes jours

J'ai découvert sous ton ciel bleu
La joie de vivre c'est merveilleux
Je sais que pour être heureux
Faut souvent  dire merci mon Dieu

Merci mon Dieu de tout mon cœur
Sous ton ciel bleu je chante l'amour
Pour mes parents de leur douceur
Tant de bonheur embellit mes jours

La chanson                
 https://www.youtube.com/watch?v=83IEq-OemJY


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