La petite école et la grande.

 

"L'éducation, c'est la famille qui la donne; ; l'instruction c'est l'état qui la doit."
 Victor Hugo


Ceux que j'allais choisir comme parents et qui se sont mariés le 3 mai 1943, s'installent dans la pièce en arrière de la maison d'Herménie Baril, la femme de Milac, maison qui deviendra celle de Wilfrid au 19 de la rue Geoffroy, juste voisin de la beurrerie que je connaîtrai sous le nom de Lafrenière. C'est là que sous les mains habiles du docteur Philippe Chabot je verrai le jour le 15 février suivant à 6h30 du matin avec mes 9 livres et demie. J'imagine que je passe ce premier hiver dans ces lieux sacrés car  12 mois plus tard je me retrouve dans les chantiers forestiers. Ainsi Belleterre me reçoit en 1945 et  Tabaret en 1946, des chantiers forestiers entre Laniel et Témiscamingue sud.

L'année suivant ma naissance nous déménageons dans ce qui deviendra la maison familiale car quatre autres enfants y verront le jour et Linda y habite encore avec Jean.

J'imagine que j'ai dû suivre passablement mon père car je suis souvent sur les photos avec lui  xxxxxx

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Septembre 1950, je me rends à pied à l’école et pour les trois prochaines années, je ferai le trajet quatre fois par jour. Chanceux, l’école se trouve à moins de cinq minutes de la maison. Huit locaux, la grande bâtisse blanche tout en hauteur que l'on voit au bout de ma rue se nomme le Couvent St-Joseph.

En première année, sœur Marguerite nous fait la classe. Nous prenons nos rangs au son d’une cloche qu’une autre sœur manipule avec ardeur, vigueur et rigueur. En silence, nous escaladons quelques marches et nous utilisons le corridor comme vestiaire. Nous nous faufilons dans notre local, le premier à droite et derrière l’institutrice un immense tableau noir, de grosses lettres et un crucifix. Tout au fond, une armoire géante nous surveille. Une vingtaine d’élèves zieutent partout  mais seulement les enfants du village, des gars et des filles, et cette mixité survivra aux trois premières années tout comme les degrés uniques: un degré, une enseignante. Aussi pour la prise des rangs, gauche ou droite selon que tu es du sexe masculin ou féminin et en classe c'est pareil. A cette époque rares sont ceux et celles qui ne savaient pas de quel bord se diriger. La diversité allait attendre.

Les deux autres années, nos classes sont en arrière à droite et puis à gauche.
Et la même institutrice signe mes bulletins de 2ième et de 3ième année: Lorraine Barrette.  Mon relevé de 1951-52 signale une moyenne générale de 86,9% et je suis le sixième sur vingt-cinq. Je suis donc promu en troisième. Cette même année, la confirmation a lieu le 15 juin. Ce sacrement de la confirmation que l’évêque en personne nous donne revêt un aspect assez particulier. Il nous confirme enfant de Dieu. À la suite de l'imposition des mains et de l'onction faite avec le saint-chrême et à la suite de quelques prières en latin, le représentant de Dieu nous donne un soufflet. Ce soufflet nous rappelle que nous devenons soldats du Christ et qu'il nous faut combattre, sans doute le mal, pour mériter notre foi. Du moins c'est ce que j'ai trouvé sur internet car je ne me souvenais plus du sens de cette petite claque au visage, sur la joue. Par ce geste, ce sacrement, il y en sept comme ça,  je répète  la promesse de foi que mon parrain et ma marraine avaient faite pour moi. Lors de mon baptême, le 16 février 1944, mes grands-parents Dénommé, Wilfrid et Rose-Anna, avaient permis que je devienne enfant de Dieu. J’avais juste un jour, je ne pouvais pas me prononcer. On baptisait vite car le taux de mortalité infantile était élevé. Je suis passé au travers, non sans quelques séquelles, mais j’ai réussi.

Les sacrements de l’église catholique sont au nombre de sept. A cette étape-ci, trois de ceux-ci constituent la base de notre chrétienté. Le baptême et la confirmation sont entrecoupés par l’eucharistie. J’ai fait ma première communion en première année et c'était un jour de Noël. Agenouillé à la balustrade, les mains croisées sous un linge immaculé, le curé nous déposait une hostie sur la langue: "Corpus Christi" et je répondais "Amen" pendant qu’un servant de messe avec sa patène se plaçait sous mon menton pour éviter que l’hostie se retrouve ailleurs comme sur le tapis ou que le corps du Christ prenne d’autres directions. La photo nous montre l'intérieur de l'église de Lorrainville. Remarquez les transepts en haut à droite où nous avions notre banc et à gauche, et la balustrade en avant. Au fond l'autel principal où le prêtre avant 1963 tournait le dos aux fidèles et les deux autels latéraux  qui avaient différentes fonctions. Derrière l'autel principal nous pouvions nous rendre à la sacristie car il y avait des portes de chaque côté. Le célébrant et les servant de messe entrait par la porte de gauche et sortiraient, après l'Ite missa est par celle de droite. De notre banc au transept, nous pouvions admirer la chorale et l'organiste qui s'en donnait a cœur joie sur l'orgue au deuxième jubé en arrière.

Laissez-moi divaguer un peu mais c’est un fait réel. Des voisins de balustrade pourraient en témoigner s'ils ont cessé de s'estomaquer et de rire ou de sourire. Le fait. Il m’a été donné de voir qu'une hostie se retrouve dans le corsage de madame. Quelle infamie! Une hostie consacrée! Je vois encore le curé se pencher, non, non n’imaginez rien. Je vois donc le chanoine se pencher et dire à la dame : « Reprenez-la et mettez-la dans la patène et je vous en donne une autre ».  Après la messe, dans la sacristie j’ai suivi le curé en reprenant ma patène et l’hostie fut détruite après de multiples incantations que je ne saurais répéter, le latin faisait foi de tout. Des actions comme celles-là se sont souvent répétées car nous devions suivre le curé et lui, il y allait à toute vitesse. Il devait tout comme moi avoir faim  car  nous devions être à jeun pour aller communier. A la messe de dix heures la grosse aiguille avait fait le tour de l'horloge sans que je mange.

Puis un autre consigne me revient. Le vendredi, il ne fallait pas manger de viande. Du poisson oui mais pas de viande. Le Christ était mort sur la croix un vendredi et on demandait à ses fidèles d'effectuer cette sorte de jeune le vendredi. C'était jusqu'à  un certain point une mortification. N'oublions pas le soufflet. Nos sacrifices nous aident à expier nos fautes. Et puis le mercredi des cendres où l'Élise nous rappelait que nous retournerions en poussière à la fin de notre passage sur terre. À la balustrade, agenouillé, le prêtre nous déposait un peu de cendres sur le front. Mais la veille nous pouvions fêter et ramasser des bonbons. C'était le mardi gras, le jour avant le mercredi des cendres et les quarante jours de carême. Dès le mercredi matin, les bonbons disparaissaient et ne revenaient que le dimanche de Pâques tout comme les cloches des Églises qui allaient faire un tour, parait-il, à Rome. L'Halloween est demeurée mais le mardi gras est disparu, en tout cas la collecte des bonbons. 

En quatrième année, nous passons à l’école des grands et nous nous séparons des filles avec lesquelles je ne me souviens pas avoir entretenu de liens particuliers. C'est une chose qui a beaucoup tardé dans ma jeunesse. Mais soulagement, c'est normal. Nous allons régler tout de suite quelque chose. Quand je réalise et que j'écris  que je ne m’intéresse pas aux filles: c'est faux. Je me pose des questions. Quand j'écris comme ça, des questions diverses me trottent dans la tête, des questions dont j'ignorais l'existence. Elles se tiennent tout en haut de mon sourcil droit et attendent une réponse.  Et là je tente des réponses et dans ce cas c'est plutôt facile. Nous sommes tous comme ça. Je vois bien qu’au primaire quand j’étais à l’école St-Isidore de Val-Senneville les gars et les filles ne se mêlaient pas tellement sauf en sixième mais je n'ai jamais eu de sixième mixte, ni de septième, ni de huitième et après, se sont sept années de collège. Comment voulez-vous que je cultive un sixième sens  Avant un certain âge, l’intérêt pour le sexe opposé est camouflé ou inexistant. Sans doute pas inexistant, car si je  regarde une fille, elle sourit, je rougis. Ou je souris et elle rougit. Il se passe quelque chose mais quoi. Avec les gars, c'est facile, on joue: une jambette, une tape dans le dos, un coup de poing,  un coup de pied, un tir au poignets, des prises de lutte. Au niveau du langage aussi: maudit nono, t'es bien épais! Mais avec les filles ont fait quoi! Au collège je ne suis pas dans l'ambiance pour en apprendre plus, l'environnement ne s'y prête pas ou peu. Je n'ai pas eu de cours 101 avec mes parents sur la vie et la psychologie féminine. Essais et erreurs. L'internet n'existe pas et les livres intéressants sont à l’index. Je ferai comme beaucoup d’autres mon apprentissage dans la rue en glanant ici et là, des mots, des phrases, parfois un paragraphe. En 1960 je n'en savais pas beaucoup de la vie. Soixante ans plus tard on pense en savoir beaucoup. Quelle période est la mieux, je dis la mienne quoique et vous dites la vôtre quoique et dans soixante ans, l’autre génération verra bien, si la planète ne m’a pas rejoint dans une dimension, la dernière, je crois. Aujourd'hui un enfant de cinq ou six en sait sans doute plus que moi à vingt. Lorsqu'il en a quinze, il me dépasse.

Mon bateau tangue un peu trop. Je reprends le gouvernail. Le vent s'est levé et la houle menace. Il faut revenir au plan de match.

Je reverrai les demoiselles seulement quand je marcherai au catéchisme en vue de ma communion solennelle. C’est sans doute là que mes premières attirances vers le sexe opposé se sont manifestées, d’autant plus que les filles de la campagne étaient là ce qui faisait un éventail plus grand, j'allais dire plus intéressant, mais disons un éventail plus élaboré. Vous le verrez plus tard. Mais en juin 1958, une avenue distincte s'offrait à moi, s'imposait à moi et j'aurai quelques difficultés à prendre des chemins divergents. Les voies du seigneur ne me laissaient pas beaucoup de portes de sortie. Mais en attendant,  je passe à l'école des grands.

L’école St-Jean-Baptiste, devenue le bureau municipal, tout en papier brique rouge et en longueur, dissimule deux locaux à l'étage, deux fenêtres à l'avant et à l'arrière, toujours là. Et je marche un gros dix minutes avec mes jambes courtes parce que je prends un raccourci. Je me glisse dans le sentier chez Welly Gagné en face de chez moi, m’engage entre le garage Guimond et le bureau de poste, traverse la rue principale et m’infiltre au côté de la mercerie Ferdinand Baril et j’arrive en face de l’école que les fonds recueillis lors des fêtes de la St-Jean-Baptiste avaient permis de construire. En arrière une grande cour où nous jouons au drapeau, au ballon chasseur et si nous voulons jouer au baseball, nous n’avons qu’à traverser la rue pour nous rendre sur le terrain de balle où éventuellement, la municipalité installera des lumières et cela deviendra le Stadium de Lorrainville pour ne pas dire du Témiscamingue car c'est l’unique lieu avec un excellent éclairage, le lieu tout désigné pour jouer le soir sous les réflecteurs avec des gradins. Un vrai Stade Jarry avant le temps.

À droite, après avoir escaladé quelques marches, c’est mon local mais aussi une classe à degrés multiples, unisexe de la quatrième jusqu’à la fin de la sixième et même après quand je traverserai dans l’autre local. En quatrième, nous étions seize et j’atteins le fil d’arrivée en troisième position avec une moyenne de 79,5%. Seul souvenir de cette année, c'est Jean-Paul Baril, qui est en fait un des petits cousins de mon père, et le lancer des craies et des brosses à tableau. Les avertissements oraux ne suffisaient pas toujours à calmer les turbulents derrière moi de sorte que ce matériel de la commission scolaire virevoltait dans les airs et risquait régulièrement de m’écorcher les oreilles et le cuir chevelu. Un jour j’ai demandé de changer de place pour ma sécurité avec l'accord de mes parents qui auraient bien voulu lui adresser la parole. Aujourd'hui, je lui aurais demandé de pratiquer ses lancers mais à l'époque, oh non!  Tranquille, docile, introverti. Je ne me serais même pas donner le droit même de penser ça. De là à le dire, il y a toute une marge. Je pense que suite à ma demande polie, réservée, diplomate, cérémonieuse, il m’a avancé à côté du bureau, de la tribune. Il ne pouvait pas m’attraper mais j’étais toujours nerveux quand il garrochait la brosse à tableau ou des craies. Je faisais  comme on fait jeune quand nous passons sous un viaduc ou un pont. Je me baissais la tête et fermais les yeux et priais. Surtout je priais car parfois la craie ou la brosse revenait quand Jean-Paul avait le dos tourné.


En cinquième et sixième année, Lucille Chaumont  m'enseigne. Je termine  la première des deux années avec une moyenne de quatre-vingt-deux et je suis deuxième sur dix. Toutes ces années, je livre bataille à Albert Raymond pour la première position en compagnie de mes deux amis : Gilles Dubé et Raymond Beauséjour. Je me souviens bien de Madame Chaumont car elle m’a gratifié de nombreux prix pour mes résultats scolaires et mon comportement exemplaire. Je comprends Jamais je n'aurais osé bouger d'un centimètre ou déplaire. Aussi, elle me visite à la maison lorsque je manque quelques jours à cause d’une opération pour l’appendicite lorsque je suis en sixième. Ces visites m’enorgueillissent et font la joie de mes parents qui par le fait même accueille Léo Jolette, le mari de mon institutrice et tout ce beau monde en profite pour piquer une jasette.


En septième, je change de local: direction aile gauche. Marcel Raymond, le père d’Albert, m’enseigne tout comme en huitième année. C’est d'ailleurs son nom que porte aujourd’hui polyvalente à Lorrainville. Honneur bien mérité par son implication scolaire, sociale et politique Si j’avais continué, je l’aurais eu jusqu’à la fin du secondaire toujours dans des classes à degrés multiples. En septième année, les élèves de la campagne arrivent car le secondaire ne se donne pas dans les écoles de rang.   Au moins une fois, je suis allé en avant de la classe les deux genoux sur la tribune pour recevoir quelques coups de martinet mais j’en ignore la cause à moins que ce soit en raison d’une bataille que j’avais eu avec son fils. Cela ne m’a toutefois pas empêché d’obtenir mon premier diplôme en 1957 : le Certificat d’Études Élémentaires. Ce papier grand format, signifiait que j’avais passé les examens officiels du Comité catholique du Conseil de l’instruction publique. Wow! Cela voulait aussi dire que je connaissais par cœur les réponses aux 792 questions du petit catéchisme. De dix que nous étions en sixième année, notre groupe diminuait car plusieurs élèves étaient réquisitionnés pour les travaux de la ferme de façon permanente ou s’expatriaient pour se trouver un emploi. Nous étions de moins en moins nombreux malgré l’ajout des campagnards pour la prière chaque matin et pour le salut au drapeau du vendredi midi.

Ce n’est pas un sacrement mais en septième année, nous devons faire notre communion solennelle. "Nous marchons  au catéchisme". Il s’agit de quelques séances où le curé vérifie à l’aide des Sœurs de la communauté, nos connaissance religieuses, notre maitrise du catéchisme et les leçons du catholicisme. Si oui,  nous sommes prêts. Nous passons à l’étape finale. Il s’agit d’une messe suivie de la remise des diplômes. Pour bien s’immiscer dans le temps je livre un petit texte émanant du RADQ (Le réseau de diffusion des archives du Québec) et ça va comme ça

« À cette occasion, un costume est de mise. Les filles revêtent une robe blanche courte ou longue selon les époques, des gants et un voile. Ce costume leur donne des allures de petites mariées. Quant aux garçons, ils sont vêtus d'un habit noir ou marine et d'une culotte courte jusqu'aux années 1940. Ils portent un brassard blanc au bras gauche et souvent un ruban blanc sur la poitrine. Missel, chapelet et cierge complètent le costume de circonstance. Au début de la cérémonie, garçons et filles défilent dans l'église en une longue procession qui part de l'arrière et remonte la nef jusqu'aux premiers rangs. »

C’est là où je veux en venir. C’est une procession mixte, oui mes amis, un cortège où les garçons côtoient les filles et les filles, les garçons. Tout un événement. Première fois que j’approche des filles depuis la troisième année et encore.  Et nous répétons l’exercice de la procession à quelques reprises. Et je côtoie toujours la même jeune fille. Et elle me coudoie presque. De temps à autre, un sourire, je rougis. Je la regarde. Elle rougit. Mais il en reste des séquelles. Cela reste d’autant plus de traces que les dimanches suivants je la vois très bien de mon transept puisque ses parents ont un banc en bas presque vis-à-vis le nôtre. D’habitude elle est là à la messe de dix heures. On se jette des coups d’œil mais c’est tout. Il m’est arrivé de servir la messe à dix heures. Nos regards se croisaient et lorsqu'elle se présentait à la balustrade pour la communion, nous jouions avec les couleurs de l'arc-en-ciel, le rouge devenant prioritaire.

J'ai déjà écrit qu'il y avait sept sacrements. Je vous ai parlé de trois de ceux-ci: baptême, eucharistie et confirmation. Au primaire, un autre sacrement nous tenaillait: la pénitence. Nous devions confesser nos péchés et pour cela nous pouvions puiser, en faisant notre examen de conscience, dans les dix commandements de Dieu, les sept commandements de l'Église et les sept péchés capitaux  qui sont la colère, l'avarice, l'envie, l'orgueil, la gourmandise, la paresse et la luxure. Ouch! . Tout ça, c'est au début  avant la première communion car notre âme doit être pure pour recevoir le corps du Christ. Il faut que j'avoue au curé, le représentant de Dieu les péchés que j'ai commis, que mon repentir soit sincère et je dois avoir la ferme résolution de ne plus les faire, de ne plus recommencer. Et le curé me réconcilie avec Dieu et l'église en me donnant une pénitence selon la gravité de mes fautes. Dieu est amour et miséricordieux. Donc, je ressortais du confessionnal libéré d'un fardeau, libéré des mes fautes, le cœur léger,  Plus tard nous pourrons nous confesser sans passer par le confessionnal mais directement à Dieu. Mais quand j'ai sept ou  huit ou neuf ans c'est quoi mes péchés. Tu vis dans la crainte des commandements, des péchés capitaux, de ce que veulent tes parents, de ce qu'attend de toi ton enseignante, ton professeur. Et si jamais je meurs, les flammes de l'enfer me réclament. À l'âge du primaire qu'est-ce que je peux bien confesser. Des peccadilles, des erreurs. Mais cela me tracasse. Je ne décortique pas tous mes gestes mais où ai-je fauté? Ou j'ai mal compris tout ce temps-là. J'ai l'épée de  Damoclès au dessus de moi, c'est-à-dire qu'un danger constant me menace! Dieu est amour, est miséricordieux. Quelques numéros plus loin dans le petit catéchisme, on me parle de l'enfer, Wo là, j'ai dix ans ou plus ou moins.

Je viens de lire quelque chose d'intéressant et je vous cite la phrase car l'église s'est ajustée. Mais en 1960, j'étais tout mélangé dans mes manquements, dans mes erreurs, vénielles et, attention, cela va donner un grand coup, mortelles. Plus tard je comprends un peu plus mais j'ai déjà connu le purgatoire de mon vivant à tout le moins. Aujourd'hui, je règle ça d'homme à homme à moins que Dieu soit une femme Ma conscience et moi nous nous parlons et nous sommes assez souvent d'accord: le bien, le mal. J'allais oublier la phrase:

"Le sacrement de pénitence et de réconciliation est surtout nécessaire pour les cas de péchés mortels, comme le rappelle l'exhortation apostolique post synodale Reconciliatio et Paenitentia  de Jean-Paul II  (1984). Les cas de péchés véniels peuvent bénéficier de la grâce sanctifiante de l'eucharistie."

Vers la fin de l’année scolaire 57-58, en juin  je reviens de l’école clopin-clopant, accompagné des oiseaux et de l’odeur des fleurs qui me talonnaient. Absorbé dans mes pensées, je vois deux ou trois autos en avant de la maison. Je m’inquiète. Qu’est-ce qui se passe? Il ne manque que l'ambulance, le camion de pompier, le docteur. C'est une journée d'ouvrage et le camion de mon père est là. Mon inquiétude fait fuir les oiseaux et les parfums s'évaporent. Il ne m'en faut pas plus pour imaginer le pire. J’entre à toute vitesse. Le curé est dans ma chaise et deux personnes que je ne connais pas autour de la table. Mes pas s’arrêtent sur le tapis de la porte. Je m’immobilise complétement devant dix yeux qui me dévisagent. Dans mon esprit de 13 ans, des yeux qui m'inquisitionnent. Les deux visiteurs me sont présentés par M. le curé Côté. Ce sont les pères Beaudoin et Duchesneau, deux Oblats de Marie-Immaculée, qui ont la charge du recrutement pour le Collège classique pour d’éventuels candidats à la prêtrise. Le Séminaire St-Michel n’existait pas encore. Le chanoine Côté, curé de la paroisse et initiateur j’imagine du projet, avait rencontré au préalable mes parents. "Alea jacta es": le sort en est jeté! L'expression lancée par Jules César en 49 avant Jésus Christ venait de traverser des siècles et m'atteindre en plein front. L'expression signifie  que la situation n'est pas laissée aux mains du hasard et qu'aucun retour en arrière n'est possible. Je suis fait!

Mon orientation professionnelle se concrétisait. C’était réglé : je serais prêtre. J'étais enfant de chœur depuis quelques années, j'avais l'air d'aimer ça. Fidèle au poste, poli, réservé, pieux, serviable, j’étais prédestiné à la prêtrise. Mes parents et le curé Côté avaient entendu l’appel de ma vocation. Je devais être accaparé par autres choses car j’ai manqué cet appel. Mais le curé le disait et mes parents renchérissaient. C'est ça qui est ça. Au début du classique, ça se prend bien, d'ailleurs, je ne vois pas d'autres issus et n'en cherche pas non plus: ils me l'ont dit. Mais après cinq ou 6 ans de classique, je me demande comment en sortir sans froisser personne, sans déplaire à mes parents pour qui cela était une fierté incommensurable d'autant plus que mon père aurait aussi envisagé la prêtrise avant, bien sûr, de rencontrer ma mère.  L'ordre (prêtrise)  est autre sacrement et j'allais l'échapper. Je m'en confesse. Mais ma mère avait des doutes sans trop les laisser paraître. Ghislain avait commencé son séminaire, la famille était sauvée. 

Il ne me restera que deux sacrements à domestiquer: le mariage et l'extrême-onction. Pour le premier, je ne me sens pas psychologiquement outillé et j'ai du temps pour le second, j'espère bien  l'apprivoiser avant de le voir apparaître. Je veille au grain.  Aujourd'hui j'ai moins de crainte de ce jugement final, j'ai vieilli. Mais il y a soixante-dix ans, Dieu m'avait dit: "Je viendrai te chercher comme un voleur" Cela reste toujours le cas mais je suis sur mes gardes. La porte est toujours cadenassée et pas besoin de valise car je voyagerai léger. Mais j'ai du temps. J'espère en avoir.


Laura et Dominique

Je ne peux passer sous silence, une troisième école que j’ai fréquentée assidûment avant mon départ pour les études classiques : ma famille. J’avais des modèles, des idoles et mes parents sont au nombre de ceux-ci. Aux écoles régulières, j’ai enrichi mes connaissances dans différents domaines. Mais, à la maison les valeurs que mes parents m’ont transmises soit par leur agir ou par leur dire ont été déterminantes. L’école de la vie avec les valeurs humaines, familiales, religieuses, sociales et économiques. Aussi dans mes comportements tout au long de ma vie, celles-ci ont été le moteur de mes actions, de mes hésitations. Selon les âges, les valeurs ont changé de position sur l’échelle des priorités mais toujours présentes.

Permettez moi avant d'écrire l'autre chapitre  d'aller aider ma mère à faire mes valises car je pars en voyage.  Comme dans la chanson du film de La famille Bélier,  au moins quelques lignes: "Mes chers parents je pars, je vous aime mais je pars....". Je vole. Je vogue.


LE PETIT MOUSSE

Gilles Gosselin


Sur le grand mât d'une corvette,
Un petit mousse un soir chantait;
Il redisait l'âme inquiète
Ces mots qu'au loin le vent portait:
"Qui me rendra ton doux sourire,
Heureuse mère ouvrant tes bras?"


REFRAIN:
Filez, filez, ô mon navire
Car le bonheur m'attend là-bas! (bis)


Quand je partis, ma bonne mère
Me dit: "Tu vas sous d'autres cieux;
Ton cher village et ta chaumière
Seront bientôt loin de tes yeux
Quand tu seras sur le navire,
Tu m'écriras souvent, mon gars"


J'étais heureux, petite mère
Quand je vivais auprès de toi
Pourquoi faut-il que la misère
M'ait éloigné de notre toit?
Bientôt, j'espère, un jour va luire,
Où ton enfant te reviendra.


Ainsi chantait le petit mousse
Sur le grand mât, au bruit des flots;
Et dans la nuit, sa voix si douce
Semblait monter comme un sanglot
Soudain, on crie avec délire:
"Voici le port, hardi, les gars!"

https://www.youtube.com/watch?v=48aZkXCs-Ko




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