La rencontre!

D'une rencontre pourrait naître une autre vie!

Vincent Thomas Rey 

Le hasard se donne parfois des allures de magicien. Nous sommes en janvier 1965 et sans doute un dimanche comme je l’ai retrouvé dans nos lettres, le 24, un dimanche. Nous sommes descendus au Moulin Rouge dans le centre-ville de Rouyn à pied. Habituellement, nous allions au Maroon Lodge, bar situé juste à côté pour y danser et prendre un verre et moins souvent au Moulin.

Or au Moulin rouge ce soir-là, je suis avec mon ami Pierre comme souvent depuis une couple d’années. Sans copine assidue nous étions assis un peu vers le milieu de la salle et je dégustais un Seven-up. Mes états financiers pour finir l’année ne me laissaient pas grand jeu et je m’étais serré la ceinture en janvier de sorte que j’aurais plus de disponibilités plus terminer l’année. Tu peux déguster un Seven-up et plus difficilement une bière et c'est moins onéreux.

Pour éviter que mon bras gauche ne bouge trop, je pouvais le mettre en écharpe. Une blessure au coude subie au hockey,  une bursite qui nécessitait certains traitements me tiraillait. Je n’étais pas équipé pour danser des slows, des rocks ou des twists, mais je pouvais le remuer Et de toute façon qu'est-ce que nous faisions un dimanche soir dans une salle de danse. Presque personne.

Je tournais le dos à la porte d’entrée de sorte que je ne voyais pas les allées et venues derrière moi. Et Pierre jetait un d'œil intéressé et m'a parlé de deux filles attablées depuis quelques minutes. Il a bien fallu que je me retourne et que je les vois à une table sur le bord du mur. J'imagine, qu'elle sirotaient dans l'attente d’une danse, nous en étions convaincus. L’une d’elle m’attirait davantage, et ja voyais légèrement de biais. Elle me paraissait assez grande, châtaine, je peux le confirmer par la suite. Elles avaient jeté un regard vers nous et j’avais cru y déceler un sourire invitant. Ça, c'est dans ma tête. Lorsque mes yeux ont croisés les siens j’ai cru les entendre me dire de faire quelques pas et de foncer. Ça aussi, c'est dans ma tête à moi. J'ai vu ce que j'ai bien voulu voir et interprété le tout positivement. J’ai osé. J’ai respecté le scénario. Elle m’a suivi rayonnante. De près elle était encore plus pétillante.

Nous avons dansé sur quelques pièces jouées par l'orchestre. Je ne lui ai pas trop marché sur les pieds et l'inverse est aussi vrai. Elle dansait bien. J'en ai appris sur elle, un peu. Elle m’a informé qu’elle était infirmière, qu’elle demeurait sur la rue Cuddihy, juste en face du poulailler. Elle m’a soufflé quelques mots sur sa famille. Elle m’en a dit juste un peu, quelques brides mais assez pour vouloir en savoir davantage et certains détails hors de prix pour mon futur. Le contact avait été excellent, nous avons ri. Je sentais beaucoup de qualité chez cette fille et j’étais déjà bien avec elle et nous étions du même milieu. J’avais le goût d'en savoir davantage. Un speed dating qui demandait à aller plus loin.

Un coup de foudre sans doute. Une très belle fille, très bien tournée, sexy, avec des yeux étincelants et un sourire resplendissant. D’une gentillesse indiscutable et d’une joie de vivre incontestable, elle m’avait ensorcelé. Elle était authentique. J’ai subi un électrochoc. J’imagine que c’est ça un coup de foudre : le pouls qui s’accélère, des frissons ou des fourmillements indélébiles et des battements de cœur qui me parlaient, dansaient et chantaient. Une intermission est venue interrompre notre bavardage et en la remerciant de m’avoir accordé ces instants, je lui ai dit à tantôt. J’imagine qu’elle a dit oui. Mais ça, c'est dans mon cœur!

De retour à ma table et Pierre pourrait le confirmer, je lui ai dit qu’elle serait ma femme. Tu ne peux laisser filer une créature de cet acabit. Non! Elle sera ma femme! Elle sera mon épouse.

Quand l’orchestre est revenu j’ai jeté un coup d’œil vers sa table, vers sa chaise. Vide. Rien. Néant. Les deux filles s’étaient évaporées. Parties. Elles avaient quitté à notre insu. Mais je ne pouvais pas la laisser filer comme ça à l’anglaise. Mon rêve aurait été de trop courte durée. Fait paradoxal, en écrivant ce texte, je suis en train de lire « J’ai commencé mon éternité » d’Édith Fournier et à la page deux-cent-cinquante-quatre, quand ils se sont rencontrés, son futur Michel Moreau se serait dit : « Celle-là, je ne la laisse pas passer. » La mienne infiltrée déjà dans mon sang, venait de me glisser entre les artères. Et Pierre de me dire : « Tu n’auras été marié longtemps. »

Avais-je seulement rêvé? Non je l’avais tenue dans mes bras, je l’avais flairée; mes yeux l’avaient vue, mes oreilles entendues. Mon nez s’était enivré de son spray net et de son parfum, Chanel 5. Je la goûtais déjà. A moins que ma conscience m’ait joué un tour, que mon cerveau ait défié mon cœur.

Avais-je seulement rêvé? Non, j’avais des témoins. Nous étions en janvier. J’étais au Moulin Rouge. C’était un dimanche. Je buvais du Seven-up. J’avais dansé avec elle. Elle avait dansé avec moi. Elles étaient deux. Elles étaient reparties.  Plus tard nous sommes entrés au collège à pied en passant devant la rue Cuddihy. Et le lendemain et les jours qui ont suivi, j’avais encore les empreintes de son passage dans mon esprit. Et sa frimousse j’en avais souvenance : un diamant à l’état pur.

Elle m’était déjà indispensable. Nous avions passé quelques minutes ensemble et déjà je l’idéalisais. Si j’avais connu un peu ses défauts, je crois même que ceux-ci m’auraient charmé. Hélas, elle n’avait pas laissé un soulier de verre qui m’aurait permis de la retrouver. Si elle était partie comme ça; si elle avait fui? Si elle s’était éclipsée pour ne pas me revoir? Si elle n’avait pas deviné ma fascination pour elle? Si notre envoutement ou attirance à tout le moins n’était pas réciproque? Si. Il m’a bien fallu le craindre. Avait-elle quelqu’un dans sa vie? Cela aurait été très compréhensible et le contraire inexplicable. C’est inquiétant. Mon rêve se tournera-t-il en cauchemar?

Je ne trouve pas les mots pour faire le lien avec le prochain chapitre. Nous y allons sans attendre. J'ai quelques indices dont la maison sur la rue Cuddihy. J'ai un nom: Blanche Houle. J'ai un lieu de travail: Hôpital d'Youville. Je vais établir mon plan et je réussirai à la trouver. Je rejoindrais ainsi les grands détectives, lesquels j'aurais aimé côtoyer comme Columbo, Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Miss Marple, Commissaire Maigret. Si je réussis pas, je les demanderai en renfort.




2021 08 28


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